Les chrétiens et le corps
LECTURE D’UN OU DE PLUSIEURS TEXTES BIBLIQUES
Genèse 1, 27 Dieu créa l’être humain
comme une image de lui-même ;
il le créa à l’image de Dieu, il les créa homme et femme.
I Cor 6,
12Vous allez jusqu’à dire : « Tout m’est permis ! » Oui, cependant tout ne vous est pas utile. Je pourrais dire : « Tout m’est permis », mais je ne me laisserai pas asservir par quoi que ce soit. 13Vous dites aussi : « Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments. » Oui, cependant Dieu détruira les uns comme l’autre. Mais le corps humain, lui, n’est pas fait pour la débauche : il est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps. 14Dieu a ressuscité le Seigneur et il nous ressuscitera aussi par sa puissance.
15Vous savez que vos corps sont des parties du corps du Christ. Vais-je donc prendre une partie du corps du Christ pour en faire une partie du corps d’une prostituée ? Certainement pas ! 16Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à une prostituée devient avec elle un seul corps ? Il est écrit, en effet : « Les deux deviendront une seule chair. » 17Mais celui qui s’unit au Seigneur devient spirituellement un avec lui.
18Fuyez la débauche ! Tout autre péché commis par l’être humain reste extérieur à son corps ; mais celui qui se livre à la débauche pèche contre son propre corps. 19Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit saint, cet Esprit qui est en vous et que Dieu vous a donné ? Vous ne vous appartenez pas : 20Dieu vous a acquis, il a payé le prix pour cela. Mettez donc votre corps au service de la gloire de Dieu.
PREDICATION
Aujourd’hui, je ne vais pas suivre les lectures bibliques proposées pour ce dimanche. Les textes que vous venez d’entendre, je les ai choisis en lien avec l’exposition que vous trouverez à la sortie du culte au fond du temple : Sport et Protestantisme.
Cette exposition a été conçue parce que la France est très sportive ce temps-ci : Coupe du Monde du Rugby actuellement, mais surtout les JO à venir en 2024. L’exposition veut diminuer la méconnaissance du rôle du protestantisme dans l’histoire du sport. D’autant plus que l’histoire chrétienne vis à vis du sport n’était pas toujours évidente. Et cela est dû à une histoire compliquée par rapport à l’estime du corps humain, compliquée face aux besoins physiques, souvent méprisés et combattus plutôt que mis en valeur.
1. Dans l’histoire de l’Eglise nous sommes passés durant des siècles par une idéologie où on maltraitait le corps au nom de la foi, au lieu de l’honorer. Le jeûne devait maîtriser la gourmandise, les vêtements et voiles devaient cacher le corps et réduire la séduction. On allait jusqu’à châtier le corps, dans le but de suivre la souffrance du Christ d’un côté et de combattre les envies physiques de l’autre. Le pire ennemi était, dans ce contexte, les sensations liées à la sexualité. Que surtout cela ne fasse pas plaisir, mais soit juste réduit à la procréation. L’acte d’engendrer restait un acte de péché encore longtemps.
Pour donner un exemple : J’ai grandi dans un contexte bien catholique. Les femmes qui accouchaient devaient se confesser et être bénies par un prêtre avant de retourner à l’église car elles ou alors leur corps, étaient considérées comme impures suite à l’accouchement. Quand j’ai pris connaissance de ceci comme jeune fille, j’étais profondément choquée , car je voulais grandir à la fin du XXème siècle et non au Moyen Âge.
D’où vient ce malaise par rapport au corps ? Difficile de trouver dans les messages bibliques des arguments pour mépriser nos corps à ce point.
Voyons de près quelques textes bibliques au sujet du corps humain :
2. Corps et Esprit font un
Les textes de la création mettent en avant que l’être humain fut créé à l’image de Dieu. Et l’auteur d’un des récits précise que c’est le nefesh de Dieu, le souffle de vie de Dieu, qui fait que le corps prend vie et fait de l’humain un être propre et autonome. Les textes de l’Ancien Testament tiennent à l’union entre corps et esprit. L’un ne va pas sans l’autre. Quand le corps souffre, au moment de l’accouchement, ou alors à cause d’une maladie ou de la vieillesse, les croyants trouvent des mots pour dire leurs souffrances mais aussi pour exprimer leur confiance dans l’aide de Dieu.
Psaume 71
17Mon Dieu, tu m’as instruit dès ma jeunesse,
et jusqu’à présent j’annonce tes merveilles.
18Maintenant, malgré ma vieillesse et mes cheveux blancs,
ne m’abandonne pas, mon Dieu !
Alors j’annoncerai ton action efficace et vigoureuse
aux jeunes et aux personnes qui viendront après eux.
Les textes bibliques ne pensent en rien que souffrir dans son corps ferait plaisir à Dieu. Au contraire. Il est là pour aider à retrouver un corps à habiter, où on soit en paix.
Et le prophète Ezéchiel a confiance que, même une fois mort et réduit à nos os , Dieu de la vie saura nous redonner des muscles et un corps pour qu’on soit rétablis.
Ez 37, 1La puissance du Seigneur s’empara de moi ; son Esprit m’emmena et me déposa dans une large vallée couverte d’ossements. 2Le Seigneur me fit circuler partout parmi eux, dans cette vallée : ils étaient très nombreux et complètement desséchés. 3Alors le Seigneur me demanda : « Fils d’Adam, dis-moi, ces ossements peuvent-ils reprendre vie ? » Je répondis : « Seigneur Dieu, c’est toi seul qui le sais. » 4Il reprit : « Parle en prophète à ces ossements, dis-leur : Ossements desséchés, écoutez ! 5Voici ce que le Seigneur Dieu vous déclare : Je ferai venir en vous un souffle, et vous reprendrez vie. 6Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître de la chair et je vous recouvrirai de peau ; puis je vous rendrai le souffle pour que vous repreniez vie. Vous saurez alors que je suis le Seigneur. »
L’être humain n’est pas considéré et respecté dans ce qu’il est comme créature voulue par Dieu, si on ne respecte pas son corps.
Et de même pour les évangiles : On cherchera en vain des paroles de Jésus qui exigent un comportement hostile à son corps.
3. L’arrivée de la séparation du corps et de l’esprit
Le point de départ de ce développement de la séparation de l’esprit et du corps, au sein du christianisme, appartient aux débuts de l’histoire de la pensée européenne – dans le domaine de la philosophie grecque – et celle-ci a marqué durablement toute la culture européenne.
C’est le philosophe grec de l’Antiquité Platon (428 – 347 av. J.-C.) qui, en s’intéressant de près à la question, est à l’origine de cette évolution de mettre en opposition corps et âme.
D’après Platon, l’âme est l’être en soi, immuable et éternel ; en revanche, le corps est fini, mortel. L’âme, en revanche, survit à la décomposition corporelle et à la mort du corps. L’âme est alors supérieure au corps. Le corps est plus ’une prison et un obstacle à l’être pur qu’autre chose.
Cette distinction platonicienne entre le corps et l’âme a trouvé un terrain fertile dans la réception chrétienne et a conduit à une misanthropie dévastatrice. Le corps / la chair est alors devenu l’incarnation du mal et du démoniaque en général.
Des pères de l’Église célèbres, comme Tertullien, transmettent cette idée. Lui-même, avec d’autres auteurs chrétiens, s’insurge contre les Jeux olympiques vers 200 après J.-C.. Il écrit : « On ne niera pas que ce qui se passe dans le stade n’est pas digne d’être vu, les coups de poing, les gifles, toute l’insolence de la main et toutes les défigurations du visage humain, image de Dieu ». Lorsque le christianisme est devenu la religion d’État, les jeux olympiques ont été interdits.
Et encore aujourd’hui , notamment dans notre tradition luthéro- réformée, onse contente dans nos assemblés d’être assis sur des bancs durs, sans place pour étendre ses jambes, en pensant que seul l’esprit doit être déplacé ici – et non les os et tendons- et l’esprit, vous le savez, n’a besoin que de peu de place.
4. Paul et le corps
Lors des lectures bibliques, nous avons entendu un extrait de la lettre aux Corinthiens. L’œuvre de l’apôtre Paul est bien intéressante, car il se situe au carrefour de tout.
Paul connaît sa bible hébraïque, il grandit et vit dans un milieu grec, influencé par la philosophie et par d’autres cultes. Il a eu un enseignement par le message du Christ, et cherche à le faire entendre dans son contexte autour de la Méditerranée, dominé par les romains et leurs mœurs et cultures.
Ainsi, il peut choisir un exemple sportif, en référence aux Jeux olympiques, pour inviter les Corinthiens à s’occuper de la cause du Christ, comme les compétiteurs dans l’arène.
1 Corinthiens 9:24 : « Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans l’arène courent tous, mais qu’un seul reçoit la couronne de la victoire ? Courez donc de manière à l’obtenir ».
Être croyant est une course à la victoire.
Je note ici juste que Paul ne fait pas de polémique contre l’exercice sportif, par contre, et cela nous avons entendu dans le chapitre 6 , il met en garde et appelle à un comportement juste et respectueux vis à vis son corps: 18Fuyez la débauche ! Tout autre péché commis par l’être humain reste extérieur à son corps ; mais celui qui se livre à la débauche pèche contre son propre corps. 19Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit saint, cet Esprit qui est en vous et que Dieu vous a donné ? Vous ne vous appartenez pas : 20Dieu vous a acquis, il a payé le prix pour cela. Mettez donc votre corps au service de la gloire de Dieu.
Comme souvent chez Paul : Tout est permis, mais tout n’est pas utile. Nous ne savons pas exactement ce qu’il entend par débauche, mais ce que je lis bel et bien, c’est que notre corps est saint pour lui et fait partie du corps du Christ.
Mais assez vite, à travers l’histoire du christianisme, on s’est consolé avec l’idée que corps et âme étaient deux choses distinctes. Certainement qu’ainsi les corps abimés par la peste et d’autres maladies ou alors la vie souvent fragile et courte pour tant de raisons, faisaient moins peur. La vraie vie se joue ainsi ailleurs, et ne dépend pas des conditions humaines et terrestres.
En plus de cela, il y avait le succès de l’idée qu’il faut souffrir comme le Christ. Ainsi, faire mal au corps était un plus, j’en ai parlé au début.
Mais nous n’en sommes pas restés là et notamment pas dans le protestantisme, qui ne voyait pas dans la souffrance un chemin de sanctification, ni de purification. Nous vivons par la grâce et par le bonheur que Dieu nous promet ; à nous de répondre par une joie de vivre pleinement.
Cela nous donne la responsabilité de faire de notre mieux pour venir au secours des’autres qui subissent une souffrance, de les aider à sortir de là.
L’exposition évoque ici l’œuvre de la Fondation John BOST qui fait tout un travail d’inclusion. On ne peut pas toujours guérir d’un handicap, mais nous pouvons faire plein des choses pour qu’ils ne souffrent pas de leur handicap mais s’épanouissent à leur façon.
Aussi,
Pour les chrétiens, l’appel de voir dans le corps un temple, comme dit Paul, c’est par exemple devenu un argument pour combattre la torture et la maltraitance. On ne touche pas au corps, sous aucun prétexte : « ah une petite gifle, une fessée ça ne fait pas de mal à l’enfant. Cela l’éduque ». Non, c’est un temple saint à respecter et à protéger.
« Mais comment faire pour que le prisonnier lâche enfin ce qu’il sait ? Quelques décharges électriques par ci, des coups de bâtons par là, du froid, du chaud … » légitimant ainsi les moyens par une noble cause, mais non, rien ne permet qu’on y touche, disons nous.
Le corps est à respecter dans tous les cas. Et corps et esprits ne sont pas séparés. La personne qui a subi de la souffrance physique en souffrira encore longtemps, parfois plus longtemps que les cicatrices extérieures.
Effectivement nous avons, suite aux réflexions comme celles de Paul et autres, avec le temps, adopté une éthique qui porte attention au bien-être du corps, le sachant en lien avec le bien-être psychique de la personne.
5. D’un extrême à l’autre
Et comme souvent, l’être humain est tenté de passer d’un extrême à l’autre.
Si pendant des siècles, on avait méprisé et maltraité le corps, on passait à la fin du 19ème siècle à une pratique qui vénérait presque l’exercice physique et qui voyait dans le sport la méthode magique pour devenir un être humain presque parfait à tous les niveaux.
On parle alors d’un « christianisme musclé ». Un panneau de l’exposition traite ce sujet.
Le mouvement du christianisme musclé n’a jamais été officiellement organisé. Il s’agissait plutôt d’une tendance culturelle qui se manifestait de différentes manières et qui était soutenue par diverses personnalités et Eglises. On se réfère à l’apôtre Paul, qui compare la vie chrétienne à un combat sportif.
Le christianisme musclé prêchait la valeur spirituelle du sport, en particulier des sports d’équipe. Comme on disait : « les jeux contribuent non seulement à la santé physique, mais aussi à la santé morale ». Le sport est donc littéralement le terrain pour s’entraîner au comportement chrétien.
Un professeur américain explique les six définitions du christianisme musculaire dans une thèse sur la notion de christianisme musculaire de Thomas Hughes en analysant la carrière de Lance Armstrong / cycliste. Les critères sont « 1) le corps d’un homme lui est donné (par Dieu); 2) et doit être entraîné; 3) et soumis; 4) puis utilisé pour la protection des faibles; 5) pour l’avancement de toutes les causes justes ; 6) et pour soumettre la terre que Dieu a donnée aux enfants des hommes. » Il l’avait écrit avant qu’on s’en rende compte que Armstrong n’était pas aussi infaillible sur le plan éthique.
Et quid de la foi affichée sur les terrains de sport actuellement ?
Quand les joueurs font le signe de croix ou montre vers le ciel quand ils ont marqué un but … est-ce une témoignage de foi, ou de l’idolâtrie, en faisant du sport une affaire des dieux de tous bords ?
Finalement, nous n’avons pas fini d’écrire cette histoire, ni de réfléchir à notre rapport au corps.
6. Mais gardons ceci, face à une longue histoire de la place du corps dans notre foi.
D’un point de vue théologique,
notre corps n’est pas l’enveloppe mortelle et éphémère d’un esprit éternel, mais l’espace à partir duquel nous pensons. Nous pensons à partir du corps. Petit enfant, nous commençons à découvrir le monde en touchant et en mettant à la bouche tout ce qu’on rencontre. Nous comprenons avec le corps. Toute connaissance est une connaissance médiatisée par le corps.
Notre corps est un espace et notre corps a besoin d’espace.
Regardez les histoires bibliques autour de Jésus dans le Nouveau Testament – c’est là que cela se passe. Lors des guérisons, des entretiens et des réunions. La communauté vécue – le contact et la rencontre – fait circuler les choses, change et remodèle la société.
Nous devons notre vie à Dieu, nous sommes ses créatures – de même, notre vie est orientée vers Dieu. Grâce au message de Jésus, nous connaissons sa pensée sur ce que nous appelons le royaume de Dieu. Déjà commencés sur terre par lui-même, nous attendons son achèvement, nous sommes même appelés à y collaborer. Dieu n’a pas d’autres mains que celles qu’il nous a données ! Notre vie est un grand et long entraînement pour faire apparaitre un peu plus d’ores et déjà une idée du Royaume à venir. Et ceci dans la sueur et l’effort qui vont avec.
La foi biblique vécue est une foi en mouvement – en direction les uns des autres et pour les autres. C’est un sport d’équipe et c’est un sport inclusif, car à la hauteur de tout le monde où même le plus petit et le plus fragile est pris par la main pour se relever et pour marcher avec les autres.
Et les jours d’essoufflement et de fatigue cette promesse perdure :
Es 40, 30 Les jeunes eux-mêmes connaissent la fatigue et la défaillance ;
même les champions trébuchent parfois. 31Mais ceux qui comptent sur le Seigneur reçoivent des forces nouvelles ;
comme des aigles qui s’élèvent à tire-d’aile, ils s’élancent, mais sans se lasser, ils avancent, mais sans faiblir.
Amen
Christina Weinhold , septembre 2023
prédication lors du cadre d’une exposition : Protestantisme et Sport