prédication de JJ DIJOUX : Jean 4 cultiver la soif de la rencontre, août 2024

Genèse 3 et Jean 4 : cultiver la soif de la rencontre

 

Lectures Bibliques 

 

Texte 1 : Gn 3, 8-14, 20,21

Cependant, l’Eternel Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu?» 10 Il répondit: «J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur, parce que j’étais nu. Alors je me suis caché.» 11 L’Eternel Dieu dit: «Qui t’a révélé que tu étais nu? Est-ce que tu as mangé du fruit de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? » 12 L’homme répondit: «C’est la femme que tu as mise à mes côtés qui m’a donné de ce fruit, et j’en ai mangé.» 13 L’Eternel Dieu dit à la femme: «Pourquoi as-tu fait cela?» La femme répondit: «Le serpent m’a trompée et j’en ai mangé.»


20 Adam appela sa femme Eve, car elle devait être la mère de tous les vivants. 21 L’Eternel Dieu fit des habits en peau pour Adam et pour sa femme, et il les leur mit.

 

 

TEXTE 2 : Jn 4, 3-15,

 3Alors il quitta la Judée, et retourna en Galilée. Comme il fallait qu’il passât par la Samarie,5Il arrive donc dans une ville de Samarie nommée Sychar, près du champ que Jacob avait donné à Joseph, son fils. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué du voyage, était assis au bord du puits. C’était environ la sixième heure. Une femme de Samarie vint puiser de l’eau. Jésus lui dit: Donne-moi à boire. Car ses disciples étaient allés à la ville pour acheter des vivres. La femme samaritaine lui dit : Comment toi, qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une femme samaritaine? -Les Juifs, en effet, n’ont pas de relations avec les Samaritains. 10 Jésus lui répondit : Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire! tu lui aurais toi-même demandé à boire, et il t’aurait donné de l’eau vive. 11 Seigneur, lui dit la femme, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond; d’où aurais-tu donc cette eau vive? 12 Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? 13 Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; 14 mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. 15 La femme lui dit : » Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif, et que je ne vienne plus puiser ici. »

 

 

 

PRÉDICATION

Qu’ont donc en commun ces deux textes ? Ils formulent des questions…Ils interrogent Dieu, ils nous interrogent. De lecture en lecture, prises au vol, d’un passage de l’Ancien Testament à un passage du Nouveau Testament, en ouvrant le Livre, je me suis posé une question que je souhaiterai partager : dans notre monde sécularisé comment pouvons-nous comme Moïse, Abraham, Samuel, Elie, Pierre, la Samaritaine et d’autres, écouter ce que nous disent Jésus et Dieu. Comment écouter et entendre Dieu dans notre quotidien ?

Le texte extrait des débuts du livre de la Genèse est célèbre, si nous allons chercher au-delà de la découverte du fruit « défendu », c’est le premier échange de Dieu avec Adam et Ève. Qu’est-ce que cela pourrait signifier si nous essayons de lire cela non sous l’angle d’un péché, d’une erreur, d’une désobéissance mais plutôt du dialogue de Dieu entre Adam et Ève, du dialogue entre Dieu et nous. Dans la Genèse, avant ce qui est baptisé de chute, il n’y a pas d’échange entre Dieu et Adam, le silence de l’homme s’inscrit dans un monde parfait, dans une forme de communion édenique, excusez-moi – idyllique. Ce que nous baptisons communément la chute, est aussi une mise à distance. C’est parce que tout n’est plus parfait que le dialogue est possible, alors que Dieu croyait protéger l’humain en lui interdisant de goûter aux fruits de l’arbre de la connaissance, de l’arbre de la vie, le monde était parfait. Dieu dit, Adam, en communion, avec Dieu, écoute. La communion parfaite est silencieuse. Communion ou perception de la communion parfaite ? Dans notre récit, communion parfaite, mais quand nous prions en silence ? Tentative ou grâce ? Si le silence est une perception de la communion parfaite, il est aussi peut-être l’expression d’une escapade ou d’une fuite. Nous le vivons : l’amour qui est la présence et l’immédiateté de la relation entre deux personnes ou avec Dieu sont tissés de silences ressentis par des regards et des gestes qui disent notre confiance.

Mais revenons à notre « Où es-tu ? » de Dieu et à la réponse d’Adam : « J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur, parce que j’étais nu. Alors je me suis caché.» Ici les éléments d’un dialogue sont mis en place : une voix qui interpelle, une situation qui interroge, une explication qui appelle une autre question. Ce texte met en scène ce qui fait le dialogue du quotidien, entre humains et avec Dieu. Pour cela, il faut de la distance, ici géographique : Adam est caché, distance aussi à l’autorité divine : Adam a consommé le fruit interdit. Le serpent et Ève ont échangé sur le risque que fait courir d’avoir mangé le fruit, outrepassé ce qui fait loi. Affronter le courroux divin n’est pas rien et cela crée du dialogue… Dieu crée le dialogue avec ce formidable « Où es-tu ? ». Ce n’est pas une accusation, ce n’est pas une formule pour amadouer, c’est une extraordinaire ouverture à Adam et à Ève. La question est adressée à la femme et à l’homme, quoi qu’ils aient faits, c’est une ouverture à la suite, à l’autonomie, à notre autonomie, au dialogue avec Dieu, pas à notre soumission. C’est une invitation à Adam et à Ève à sortir en pleine lumière, « Où es-tu ? » contredit la culpabilité, il est un message de recherche, d’intérêt, donc de reconnaissance.

Nous savons la suite, Dieu reste en colère après la déconvenue qu’il vient de connaître, de la perfection offerte à l’humain il sait qu’il faudra tout reconstruire, il sait qu’il devra encore et encore faire alliance pour que nous nous conduisions en dignité envers lui, en réponse à son amour et à notre liberté acquise à ce moment précis. Il sait aussi que l’imperfection inhérente à la connaissance est une réalisation du destin qu’il nous souhaite, il est mouvement, il agit en nous et dans le monde. À partir de ce moment Dieu est force de proposition, participant au dialogue, Dieu nous attire vers le futur en suscitant un élan qui donne sens à notre vie. Avec le théologien Cobb, un théologien américain du XX° siècle penseur de la théologie du process, nous pouvons penser que « le seul pouvoir digne d’estime est celui de la persuasion ». La persuasion demande à la liberté de l’autre de se mettre en mouvement, elle demande du respect, voire de l’amour, au minimum de l’attention. Elle se situe pleinement dans la dimension chrétienne de l’amour et l’image d’un Dieu aimant et attentif à sa création.

Cette persuasion est le cœur du dialogue et Dieu ici nous l’offre et la Genèse nous montre, notamment, que l’autorité n’a de sens que si elle est bienveillante et respectueuse de chacun et de toutes les identités.

Nous trouvons un écho dans le texte de Jean, lorsque Jésus demande à la Samaritaine de lui donner de l’eau et qu’elle lui répond : « Comment peux-tu, étant un juif, me demander à boire, alors que je suis une femme samaritaine ? » Un écho ? Des prémisses de réponses à ce que tout ce que le texte de la Genèse nous dit. Au « Où es-tu ? » de Dieu, Jésus répond en nous invitant à dépasser nos préjugés, y compris les plus coriaces. Rappelons que les hébreux avaient un très grand mépris pour les samaritains, peuple impur, donc disqualifié. Jésus ne tient pas compte de tout cela, il est armé de simplicité et de bonté. Cette simplicité et cette bonté s’affirment au cœur de son identité, il est ici pour accomplir la volonté de Dieu :« Ma nourriture est la volonté de Celui-qui-m’envoie et accomplir son travail ».  Affirmation qu’il énonce au retour du temple de Jérusalem en jetant à la figure de Marie et Joseph ; « Pourquoi me recherchiez-vous, ne saviez-vous pas qu’il était nécessaire que je sois dans les affaires de mon Père, » (Lc 2, 41-52). Comme nous, son histoire est mouvement. Venu pour faire la volonté de Dieu, Jésus l’accomplit ici en humanité. Il l’accomplit en dialoguant, en ouvrant des chemins de compréhension de l’un à l’autre, en réduisant la distance sans la nier, en acceptant l’identité de l’autre. Il use ici de persuasion pour expliquer à la femme près du puits que son image sociale n’est pas toute son identité : une femme, veuve par cinq fois, en relation avec un « homme qui n’est pas le sien », peut-être adultère, et samaritaine. Ce n’est pas un fardeau social, c’est plus que cela. Et pourtant, il lui demande à boire, Jésus a besoin d’elle avant de lui offrir bien plus. N’est-ce pas aussi notre cas, ne commençons-nous pas nos conversations, surtout si elles peuvent devenir difficiles en demandant quelque chose à notre interlocuteur ? Même nos conversations entre amis expriment l’attente de quelque chose venant d’eux. La conversation est un don qui appelle un autre don. C’est de cet échange au-delà des paroles qu’est engendré le mouvement de la vie, ces rapprochements, cette intelligence à l’écoute, en un mot notre humanité en mouvement agit par Dieu. Surtout ce mouvement doit être respectueux de nos identités, il repose sur la persuasion, comme Jésus ici, peu importe que la femme près du puits soit samaritaine, il ne lui demande pas de changer cela, il lui propose de l’accompagner en lui donnant à boire sur le chemin de la foi dont il est le messager. La soif de Jésus est d’eau mais aussi de ce que peut nous donner l’autre en le laissant être. Comme Jésus laisse la samaritaine être et comme Dieu laisse Ève et Adam devenir…

Ces deux textes nous parlent de dialogue, ils semblent nous dire que le dialogue est fructueux seulement s’il y a distance entre les interlocuteurs. Que signifie cette mise à distance ? Jésus et Dieu l’illustrent en refusant de mettre la samaritaine et Adam et Ève dans une posture d’infériorité et de culpabilité. Cette mise à distance est le rejet de la différenciation par l’ascendant sur l’autre et par la compréhension de l’autre. C’est cela la vraie mise à distance. Le « Où es-tu ? » n’est plus que géographique, il est spirituel et chargé d’amour. « Où es-tu ? » est une parole d’appel à dire qui l’on est, là maintenant. Chacune de nos prières, de nos grâces rendues, est une réponse à ce « Où es-tu ? », mais c’est aussi le même dialogue de Jésus et de la samaritaine. C’est un « Qui suis-je ? » pour que nous communiquions, pour que tu me parles ? Et nous, comme la samaritaine nous ne pouvons pas faire autrement que de demander « Qui est-il ? », pour nous rassurer, pour que cette distance ne soit pas une béance.

Combien d’autres textes nous amènent aux questions « Qui est-il ? », « Qui suis-je ? ». Je ne me souviens pas que Dieu réponde autrement que par « Je suis », nous laissant face à une interrogation encore plus immense. Nous pouvons mesurer que tous ces textes, et singulièrement ceux d’aujourd’hui, nous donnent une méthode pour approcher la deuxième question : « Qui suis-je ? ». Le dialogue et la persuasion sont nos modalités d’interrogation sur notre identité, nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes que par les autres. En mouvement et en acceptant de donner à boire et de recevoir à boire. Cette soif, le Christ la vit jusque sur la Croix, lorsqu’il demande à boire, à la sixième heure, comme il le fit plus tôt à la Samaritaine. La soif n’est pas faite pour être étanchée, elle doit être cultivée. L’évangile de Jean nous mène sur un parcours de la soif, des noces de Cana, au puits près de la Samaritaine, à la Croix. Notre humanité, notre foi est un chemin où s’approfondissent les mystères de Dieu qui augmente à chaque pas notre soif. À mesure que nous apercevons le mystère, nous avons davantage soif.

Amen.

 

Jean Jacques DIJOUX, 11 août 2024   

 

 

 

 

 

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