L’amour du samaritain Luc 10

prédication de Jean Jacques DIJOUX , 27 avril 2025

prédication : L'amour du samaritain Luc 10

lectures :

Dt 30 v. 10 à 14

10lorsque tu écouteras le Seigneur, ton Dieu, en observant ses commandements et ses prescriptions écrits dans ce livre de la loi, lorsque tu reviendras au Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme.

11Car ce commandement que j’institue pour toi aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ta portée. 12Il n’est pas dans le ciel, pour que tu dises : « Qui montera pour nous au ciel afin de nous l’apporter et de nous le faire entendre, pour que nous le mettions en pratique ? » 13Il n’est pas de l’autre côté de la mer, pour que tu dises : « Qui passera pour nous de l’autre côté de la mer afin de nous l’apporter et de nous le faire entendre, pour que nous le mettions en pratique ? » 14Cette parole, au contraire, est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique.

Mt 22, v. 37 à 40

34Les pharisiens apprirent qu’il avait réduit au silence les sadducéens. Ils se rassemblèrent 35et l’un d’eux, un spécialiste de la loi, lui posa cette question pour le mettre à l’épreuve : 36Maître, quel est le grand commandement de la loi ? 37Il lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. 38C’est là le grand commandement, le premier. 39Un second cependant lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes.

Lc 10, 25-37.

25Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26Jésus lui dit : Qu’est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? 27Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. 28Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras. 29Mais lui voulut se justifier et dit à Jésus : Et qui est mon prochain ?

30Jésus reprit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba aux mains de bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent en le laissant à demi-mort. 31Par hasard, un prêtre descendait par le même chemin ; il le vit et passa à distance. 32Un lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa à distance. 33Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut ému lorsqu’il le vit. 34Il s’approcha et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. 35Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l’hôtelier et dit : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour. » 36Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? 37Il répondit : C’est celui qui a montré de la compassion envers lui. Jésus lui dit : Va, et toi aussi, fais de même.

 

 

 

PRÉDICATION

Jésus nous parle de Dieu et des hommes dit Bonhoeffer. Les textes que nous venons d’entendre illustrent ces propos. Le texte du Dt nous dit aussi cela, la volonté de Dieu est accessible, Jésus nous dit cela et aussi que c’est notre liberté, notre responsabilité que de savoir l’entendre.

Il y a comme ça des textes que nous croyons connaître. La parabole du « bon samaritain » en fait partie. Il y est question de salut, il y est question d’amour, il y est question d’humanité. De cette première écoute, lecture, celle que je faisais jusqu’à peu, je retenais qu’il était surtout question de définir qui est mon prochain. Un mot qui a de si nombreux sens : prochain comme proximité, prochain comme aimé, prochain comme suivant, prochain comme celui qui me remplacera… Duquel nous parle Luc dans notre parabole dite du « bon Samaritain » ? À vous de choisir le sens que vous donnerez au prochain, à vous de savoir si c’est le salut, l’autre, la loi, l’amour qui est le message qui vous percute en écoutant ce texte. Aujourd’hui, après avoir ruminé, machouiné, ces versets, je ne vous parlerai que d’amour. L’amour, cet acte de liberté et de responsabilité dans la foi que nous partageons, message majeur de Jésus ressuscité. Celui de Pâques, celui qui ouvre au salut, celui que nous offre Dieu et pour lequel Jésus a porté son sacrifice jusqu’au plus terrible, mais aussi jusqu’à l’espoir ultime. Il le dit notamment dans notre parabole : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.» Luc prête à Jésus une histoire qui met en scène cinq personnages qui sont autant d’attitudes au regard du commandement énoncé dans le Lévitique et le Deutéronome que Jésus nous délivre à nouveau comme point d’orgue de notre foi.

Revenons sur deux ou trois versets.

 

D’abord, « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.». Aimer le Seigneur, ton Dieu est le « méta » fondement de la foi comme on dit aujourd’hui. C’est le cœur de la foi. Encore faut-il l’aimer avec humanité, pas de manière automatique : « de tout ton cœur, de toute ta force et de toute ta pensée ». Le texte grec dit plutôt : « de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence ». De tout ton cœur, sans suspicion de ce qu’il est et de ce qu’il donne, sans douter. De toute ta force, c’est aimer de toute sa vulnérabilité, comme on est, humain mais c’est aussi de prendre soin de l’aimé, avec ou sans « e ». Dieu nous aime comme nous sommes et nous l’aimons avec notre réalité d’humain en mouvement, changeant, mais aussi d’une force inextinguible celle de notre pensée. Aimer «de toute ta pensée », c’est à la fois accepter qu’il est présent, enveloppant, mais aussi reconnaître qu’il nous a offert en cadeau de bienvenue cette magnifique nature d’être intelligent, c’est une invitation à la tolérance, à l’ouverture à l’autre, à la création. Quand je lie, du verbe lier, l’intelligence à Dieu, je vois le portail de Chartres avec cette sculpture de la création de l’homme, d’un Dieu qui pose ses mains sur la tête d’un homme qui repose sur ses genoux. Cet homme a le visage serein, il s’abandonne avec confiance. Le plus surprenant pour une voussure du XIII° siècle, c’est que Dieu est représenté en Jésus, jeune et au visage bienveillant. Cette image, elle nous parle de l’intelligence de l’amour, de l’intelligence de la confiance et de la tendresse, de l’intelligence du rejet de la force et de la défiance.  Aimer ton Seigneur, Dieu, c’est un acte d’offrande, l’offrande à Dieu de ce qu’il nous a donné, notre humanité.

 

« ton prochain comme toi-même » pose une double question. D’abord qu’est-ce que veut dire comme « toi-même ». Pour aimer l’autre, il faut s’aimer. C’est une évidence. Cela renvoi à « de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, ». Ce que nous dit Jésus, et cela mériterait en soi de longs développements, c’est qu’il faut aimer Dieu avec toute ces qualités, mais aussi sans doute, sans retenue, tel qu’on est et de toute notre humanité. Aimer est un verbe à miroir : il faut s’aimer soi pour aimer l’autre qui vous aime. Que dire des personnes qui ne s’aiment plus, les désespérés, les dépressifs, les désaimés ? Nous avons la responsabilité de les aider à s’aimer à nouveau, tout en pudeur, tout en douceur. Pour vivre ce que notre parabole évoque, il est nécessaire d’être « soi-même », de se reconnaître soi comme porteur d’humanité. Ne pas se reconnaître soi-même est une désincarnation, donnons à ceux-ci la reconnaissance du « prochain » pour qu’ils donnent aux autres.

 

Un autre groupe de mots mérite une attention particulière, il est répété à deux reprises à la fin de la parabole : « Il s’approcha et banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, [à son départ,] il sortit deux pièces d’argent, les donna à l’aubergiste et dit : « Prends soin de lui » ». Prends soin de lui… Quelle attention d’amour de l’autre ne peut-on mieux donner que de prendre soin, prêter attention. C’est-à-dire être à la fois attentif et attentionné, qualités de la présence à l’autre. Une qualité avec ses singularités, à dépasser le « dévisagement » provoqué par l’inconnu, l’incertitude. Prendre soin renvoie aussi à la compassion. Prendre soin est une des caractéristiques de notre humanité, constitutive de notre être, Jésus nous le rappelle.

 

Dernier mot que j’ai envie de vous proposer avant de vous parler des cinq figures de notre parabole, le mot « compassion ». Le mot grec ἐσπλαγχνίσθη (esplagchnisthè) renvoie aux viscères : entrer dans la compassion, c’est être physiquement saisi aux entrailles. La compassion, c’est donc être touché au plus profond de soi par la situation de l’autre mais au-delà, c’est agir pour que cesse notre propre sidération, en prenant soin de l’autre, nous ouvrons notre propre chemin à notre reconnaissance, c’est aussi cela l’intelligence de l’amour, cet aller-retour constant entre le prochain et nous, entre Dieu et nous.

 

Avec les mots que je viens d’évoquer, le pitch de notre parabole est posé. Il nous faut y mettre des personnages. Jésus nous construit sous la plume de Luc une montée en tension de l’échec de l’amour à la compassion pour nous dire, qu’au-delà de notre salut, c’est notre vie qui est un peu tout cela, que c’est entre nos mains et que l’amour de Dieu n’est pas l’unique modalité pour être sauvé, qu’il y va de notre humanité en force et en faiblesse, en faiblesse et en force, tels que nous sommes. C’est le « et » majeur de « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » qui conduit logiquement à « Va agir de la même manière, toi aussi.»

 

La première des figures est celle du « savant des lois », « celui qui connaît la loi », qui ne se réfère qu’à elle, il est vrai que Jésus ne lui demande que cela : « Qu’est-il écrit dans la Loi ? ». Si la réponse est jugée satisfaisante par Jésus, il lui délivre déjà le message de son insuffisance : « Fais cela et tu vivras » … Aimer son prochain et Dieu, ce n’est pas seulement connaître les règles, les textes, c’est aussi vivre en harmonie avec les Écritures. Qu’est-ce que vivre en harmonie avec les Écritures ? Je ne sais pas. Ma réponse toute personnelle, c’est d’être soi et à chaque fois que cela est à notre portée être le Samaritain. À vous de me dire ce que c’est pour vous ?

 

La seconde figure, c’est le prêtre qui passe sur la même route que la victime abandonnée par les brigands, qui le voit gisant dans le fossé, qui passe son chemin. C’est la figure de l’important, de l’orgueilleux, nous pourrions imaginer ce monologue intérieur : « Je n’ai pas le temps de m’occuper de lui, en plus je ne sais pas faire, dès que j’arrive à Jéricho, je préviens les secours pour qu’ils viennent l’aider. » C’est l’indifférence de l’orgueil, celle qui n’a pas d’autre prochain que soi-même ou ses pairs.

 

La troisième figure est celle du Lévite. Rappelons-nous, les Lévites sont de la tribu de Lévi qui étaient voué au Temple. Après avoir occupé des fonctions de haute administration, ils se chargeaient de l’enseignement de la Loi, au moment de la division du royaume, ils faisaient comprendre la Loi au peuple selon le livre de Néhémie. Il est sur une autre route, il voit l’abandonné, il ne change pas de chemin. C’est la figure de l’assurance que confère le savoir, comme le professeur de la loi, un Lévite lui aussi peut-être, il ne faut pas se détourner de ce qu’elle dit : peut-être ici transgresser la règle d’impureté du sang… Contre toute considération d’humanité, l’application stricte de la Loi conduit à l’indifférence…Aussi.

 

Ces deux représentants de l’ordre établi ont la même attitude : « il le vit et passa à distance ». Tout le contraire du « prochain », de la proximité, ils créent un « lointain ».

La quatrième figure est celle du Samaritain, un personnage honni des juifs. J’ignore si l’impureté du sang est commune aux israélites et aux samaritains, mais cela parait probable. Le Samaritain, que Luc ne qualifie jamais de bon, s’arrête : « Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut rempli de compassion lorsqu’il le vit. Il s’approcha et banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. » Cet homme est la figure de l’humanisme, du chrétien : il connaît les Écritures, il confronte les règles à la réalité et à la morale : faut-il passer son chemin et prier pour le malheureux ou faut-il se laisser emporter par ses entrailles et agir pour « prendre soin » du blessé ? La question ne se pose pas, le Samaritain, et c’est en cela qu’il est bon, écoute ses entrailles et fait preuve de compassion. Il fait du blessé abandonné son prochain parce qu’il le devient physiquement (« il s’approcha et banda ses plaies (plus loin), il le mit sur sa propre monture ») mais aussi parce qu’il prend soin de lui, il ne se contente pas de le soigner, il lui offre un lieu de repos, une protection.

 

La cinquième figure, bien négligée, c’est celle de l’hôtelier, celui qui accueille le Samaritain et lui fait confiance, sans retenue, il complète le premier secours en hébergeant l’abandonné. Lui aussi, il « prend soin ». Il ignore ce qui s’est passé, il ne connaît pas le Samaritain, il ne connaît pas le blessé, il ouvre son auberge. C’est l’image de l’attention à l’autre par réaction en chaîne, ce que nous appelons aujourd’hui la solidarité.

 

 

Ces cinq personnages nous parlent de nous. Il y a ceux qui s’aiment pour ce qu’ils sont et ceux qui s’aiment à travers ce qu’ils donnent. Nous sommes tous un mélange de tout cela, en tout cas moi, c’est sûr. Tous les éléments du puzzle sont en place : « et ton prochain comme toi-même » prend une portée essentielle. « et ton prochain comme toi-même », c’est aimer l’autre en se rapprochant de lui, au miroir de soi, en ne l’invisibilisant pas comme le prêtre et le lévite, en le rendant visible comme nous voudrions l’être au regard de tous, de chacun.

Là est une autre question que pose la parabole du « bon Samaritain », qui est ton prochain ? Chacun ou tous ? Celui dont tu « prends soin » ? Il y a un glissement

du Samaritain à l’aubergiste. Le Samaritain prend soin initialement du blessé, ici son prochain est un, en le remettant à l’aubergiste, il le remet à un personnage de l’accueil des autres, ici son prochain devient « tous ». Ce glissement nous dit que la compassion que nous éveille chaque homme, le plus démuni ou non (le Samaritain donne de l’argent à l’aubergiste), n’est pas exclusive, elle est générale.

Aujourd’hui, journée nationale des déportés, tant déshumanisés qu’ils se demandèrent comment penser Dieu, tant déshumanisés qu’ils quittèrent les camps de la mort pour les camps d’attente, puis revenus au monde, ils ne furent pas crus et une fois de plus, ils ont été rendus invisibles. Un très cher ami, victime de la barbarie nazie a écrit un livre dont le titre nous dit « Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu », Sam Braun… De par le monde, de telles ignominies se poursuivent : des enfants, des femmes, des hommes sont dépossédés de leur humanité parce qu’ils sont autre : les migrants, les expulsés des États-Unis, les gazaouis, les Soudanais, les peuples du Congo, les Ukrainiens, les peuples autochtones des grandes forêts en Amazonie, en Afrique, en Asie… Et aussi toute la Création dont nous avons cru qu’elle était à nous, qu’elle nous appartenait.  À côté de chez nous, du SDF au précaire reçu par l’Entraide, comment offrir ce moment de compassion ? Tant d’invisibles que nous ne les voyons pas, que nous ne regardons pas, que nous passons notre chemin…Comment être chrétien ? Il y va de nous, de chacun de nous, de notre estime personnelle, de ce miroir que parfois nous avons envie de briser, et du témoignage de notre salut.

 

 

Jésus nous donne la réponse : « Vas agir de la même manière, toi aussi. ». Prions avec Bonhoeffer :

L’obéissance sait ce qui est bon et le fait.

La liberté ose agir et confie à Dieu le jugement du bien et du mal.

L’obéissance suit aveuglément,

La liberté a les yeux ouverts.

L’obéissance agit sans se poser de questions,

La liberté s’interroge sur le sens.

L’obéissance a les mains liées,

La liberté est créatrice.

Dans l’obéissance, l’homme suit

les commandements de Dieu,

dans la liberté, l’homme crée

des nouveaux commandements.

Dans la responsabilité,

les deux se réalisent,

l’obéissance et la liberté ».

Amen

 

 

 

Jean Jacques DIJOUX  27 avril 2025

 

 

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