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Église ou secte ? comment savoir …
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prédication sur Luc 14, 25-33
LECTURES BIBLIQUES Luc 14, 25-33
25Une foule de gens faisait route avec Jésus. Il se retourna et dit à tous : 26« Celui qui vient à moi doit me faire passer avant son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre personne. Sinon, il ne peut pas être mon disciple. 27Celui qui ne porte pas sa croix pour me suivre ne peut pas être mon disciple. 28Si l’un de vous veut construire une tour, il s’assied d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a assez d’argent pour achever le travail. 29Autrement, s’il pose les fondations sans être en mesure d’achever la tour, tous ceux qui verront cela se mettront à rire de lui 30en disant : “En voilà un qui a commencé de construire mais qui a été incapable d’achever le travail !” 31De même, si un roi veut partir en guerre contre un autre roi, il s’assied d’abord pour examiner s’il peut, avec 10 000 soldats, affronter son adversaire qui marche contre lui avec 20 000 soldats. 32S’il ne le peut pas, il envoie des messagers à l’autre roi, pendant qu’il est encore loin, pour lui demander ses conditions de paix. 33Ainsi donc, ajouta Jésus, aucun de vous ne peut être mon disciple s’il ne renonce pas à tout ce qu’il possède.
PREDICATION
Parfois on dit qu’une prédication doit s’écrire avec la lecture de la Bible d’un coté et la lecture du journal de l’autre. Une façon de dire que le texte biblique doit résonner face à nos actualités et notre contexte.
En méditant la lecture biblique proposée pour aujourd’hui, j’ai senti le besoin de me plonger dans une autre lecture, celle du rapport de la Miviludes.
Connaissez-vous la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ?
https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/
Elle définit sa mission ainsi :
La Miviludes observe et analyse le phénomène sectaire, elle coordonne l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre des dérives sectaires et contribue à la formation et à l’information de ses agents.
Par exemple, cela inclut :
En cas de doute, chaque citoyen peut s’adresser à la Miviludes pour signaler ses observations, ou demander son avis sur tel ou tel mouvement.
Pourquoi est-ce que je vous raconte cela ? Parce qu’après la lecture de Luc 14, il se peut — et je l’espère — que certains d’entre vous, en écoutant Jésus, se soient demandé :
« Mais qu’est-ce que c’est que cela ? N’est-ce pas l’attitude d’un gourou ? N’est-ce pas l’action d’une secte que de faire ce que Jésus prétend ? »
Que répondrait la Miviludes ?
Jésus et ses propos, ici dans l’évangile de Luc, sont-ils sectaires, oui ou non ?
Je vous rappelle une partie du texte :
25 Une foule de gens faisait route avec Jésus. Il se retourna et dit à tous :
26 « Celui qui vient à moi doit me faire passer avant son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre personne. Sinon, il ne peut pas être mon disciple.
27 Celui qui ne porte pas sa croix pour me suivre ne peut pas être mon disciple. (…)
33 Ainsi donc, ajouta Jésus, aucun de vous ne peut être mon disciple s’il ne renonce pas à tout ce qu’il possède. »
D’abord une définition : qu’est-ce qu’une secte ?
Une secte se caractérise par une emprise mentale qui porte atteinte à l’équilibre moral, sanitaire, financier et familial d’une personne. Elle cherche à isoler, désocialiser, endoctriner, déresponsabiliser, pour pousser à une perte d’autonomie, voire une perte financière. Et dans un rapport de la Miviludes, je trouve cette observation sur un phénomène sectaire :
« Des cas d’isolement et de ruptures familiales. » comme il en est question dans notre lecture biblique
Ou alors :
Un proche d’un membre explique : “Cela fait un moment que je sens que ce membre de la famille se coupe de plus en plus, nous ne le voyons quasiment plus.”
Il ajoute : “Ce proche a beaucoup changé de mentalité, il y a une vraie cassure avec la personne que nous connaissions précédemment.” »
Ces observations pourraient être celles des parents de Pierre et d’autres disciples.
Elles pourraient être la plainte de Chouza, administrateur du roi Hérode, dont la femme Jeanne donnait de son argent à Jésus et à son mouvement (Luc 8).
Cela pourrait même être un extrait d’un rapport des services de renseignement romains, observant avec inquiétude ce mouvement qui attire des foules.
Le christianisme naissant connaît sans doute un côté sectaire : des failles, des propos extrêmes, une radicalité due à sa conviction religieuse et à la force d’une foi réveillée… Mais entre la force d’un côté et l’extrémisme qui vire à la dérive de l’autre, comment distinguer ? Comment avancer ?
C’était la question il y a 2000 ans.
C’est encore la nôtre aujourd’hui, en tant que disciples au XXIᵉ siècle.
Je veux m’approcher avec vous de ce constat troublant avec diverses observations :
1) Jésus met lui-même en garde
Premièrement, Jésus prévient que vivre à sa suite n’est pas une décision à prendre à la légère. C’est une question de discernement, un vrai calcul comme dans l’exemple qu’il donne :
« Ai-je vraiment la force et la volonté de le faire ? »
Le contexte dit bien que la foule le suit, il ne manque pas de « followers ».
Beaucoup projettent sur lui une vie facile et meilleure :
– une vie sans maladie ?
– une vie avec plein d’amis ?
– le royaume sur terre ?
Mais Jésus met en garde : rien dans la vie qu’il a choisie n’est facile. Peu de choses sont miraculeuses. Au quotidien, c’est une vie de débats, de combats, de survie.
Veux-tu vraiment cela ? Veux-tu vraiment porter ta croix — la tienne ? Ou cherches-tu à y échapper en me suivant ?
La Miviludes de notre époque a fait une campagne de prévention avec de courtes vidéos alertant sur les pièges des prédateurs spirituels. Le fil rouge de ces spots : on nous promet un monde meilleur.
« Avec ce traitement alternatif, tu vas enfin guérir ! » — paroles vides.
« Avec ce coaching, tu vas réussir ! » — mais au final, seul le coach encaisse.
L’entrée dans un mouvement sectaire passe presque toujours par la promesse d’une vie meilleure, d’un progrès, d’une méthode miraculeuse… Mais la réalité, c’est souvent des pertes : perte de liberté, perte matérielle, séquelles psychiques et physiques.
Jésus, lui, fait sa propre prévention. Il ne promet pas le bonheur pur. Il dit : ici, il n’y a pas de solutions miracles. Ici, on vous demande d’être tels que vous êtes — avec vos limites et vos blessures — et de vous engager à vous accompagner les uns les autres.
2) Jésus désigne une nouvelle réalité
Voyons dans son contexte pourquoi Jésus dit :
« Celui qui vient à moi doit me faire passer avant son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre personne.»
Un slogan que nous connaissons ailleurs : souvenez-vous de ces passages où Jésus refuse de voir sa famille et dit :
« Ma famille, ce sont mes amis dans la foi, mes frères et sœurs. »
En Luc 14, le mot grec utilisé veut dire « haïr » :
« Celui qui ne hait pas son père et sa mère… »
Mais nos traductions, avec raison, l’ont replacé dans le contexte : il ne s’agit pas de détester, mais de hiérarchiser.
D’abord Jésus et sa communauté, ensuite le reste.
C’est moins violent que « haïr », mais cela reste une alerte.
Car la séparation de l’entourage est le premier signe d’une dérive sectaire.
Alors, comment comprendre ?
Il faut voir le contexte : dans la culture de Jésus, tout repose sur la famille. Impossible de penser l’individu, la conviction, la liberté de pensée en dehors du clan familial. Le fils suit son père, la fille sa mère. Le devenir est écrit d’avance.
Or Jésus prêche du neuf : un Dieu qui veut rapprocher les humains dans leur diversité. C’est révolutionnaire, et donc radical, de dire : la nouvelle famille, la nouvelle priorité, c’est celle des disciples du Christ, qui vivent selon d’autres règles.
Paul l’a mis en œuvre :
« Il n’y a plus ni Grecs ni Hébreux, ni hommes ni femmes… vous êtes tous un en Christ. » (Gal 3,28)
Même si, dans la réalité, certains restaient maîtres et d’autres esclaves, il invitait à vivre autrement : dans le respect, en prenant soin les uns des autres, en étant égaux dans la foi. Paul se pose même la question : si un conjoint se convertit et l’autre non, faut-il se séparer ?
Non, répond-il. Ce n’est pas l’intention de Jésus. Il invite à intégrer la priorité autrement que par la rupture.
Je résume : Jésus prêche effectivement une autre priorité. La famille biologique est mise en cause comme garant de stabilité et seul sens de vie. Il prêche une autre forme de vivre ensemble par des liens fraternels et inclusifs où chacun trouve sa place.
C’est révolutionnaire, c’est provoquant, cela est source de mécontentements…
Mais son but n’est pas de diviser, mais de retrouver une vie communautaire encore plus large, plus ouverte, plus inclusive… y compris avec des membres de la famille biologique.
Sa mère, ses frères et sœurs deviennent partie d’une communauté plus vaste.
Son frère devient un collaborateur.
Jésus rompt avec des traditions très enfermantes pour ouvrir à un vivre-ensemble encore plus accueillant.
Cela n’a rien à voir avec les méthodes sectaires d’aujourd’hui qui cherchent à isoler des personnes de leur contexte pour avoir plus d’emprise.
Je m’arrête sur ces deux observations :
– Jésus n’attire pas ses disciples dans ses filets avec de fausses attentes. Il les avertit même.
– Le caractère radical de son message vise, entre autres, à libérer des traditions anciennes et dépassées.
3) Une tension toujours actuelle
Voici le cocktail qui doit nous alerter jusqu’à nos jours.
Voici la tension qui habite notre façon d’être Église :
Comment vivre joyeusement d’un message radical et libérateur d’un côté,
sans que cela dérive vers une contrainte et un enfermement de l’autre ?
Dans son rapport la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires démontre qu’il existe plein de secteurs dans notre société où des dérives sectaires, des tentatives d’emprises et de manipulation, peuvent jaillir :
Dans la domaine de la santé et de l’éducation, dans le sport, des mouvements complotistes … mais le secteur du culte et de la spiritualité reste le secteur le plus exposé à ce phénomène, bien que presque à l’égal du secteur de la santé et du bien-être.
Qu’est-ce qui fait qu’un secteur comme le christianisme, avec un message radical et libérateur qui prêche le vivre-ensemble fraternel et bienveillant, peut dériver et faire du mal à ses adhérents ?
C’est parce que cet avertissement du livre de la Genèse (4,7) vaut aussi pour nous en Église :
« Le péché est tapi à ta porte, et son désir se porte vers toi ; à toi de le dominer ! »
Le piège devant notre porte, c’est par exemple :
– vouloir dire ce que tout le monde doit croire ou ne pas croire ;
– se contenter de réponses simples et simplistes ;
– vouloir dominer autrui ;
– craindre en chaque différence, au sein de l’Église, un danger pour la communauté au lieu d’y voir une richesse qui la soude ;
– étouffer les débats ;
– exercer un abus spirituel en prétendant dire ce qui est bon ou mauvais pour autrui ;
– en bref, se mettre à la place de Dieu.
Vous en trouverez facilement d’autres.
Notre tâche reste, à la suite de Jésus, d’avertir et de dire à toute personne qui s’approche de nous :
– tu es la bienvenue, mais ne pense pas qu’ici tes problèmes vont se volatiliser et que tout ira bien dans ta vie ;
– tu es la bienvenue, mais sache qu’ici nous évitons de dire ce qu’il faut croire ou ne pas croire : il y a donc du travail qui t’attend ;
– tu es la bienvenue, mais nous comptons sur toi pour veiller avec nous à un bon vivre-ensemble, en n’écartant pas les sujets qui fâchent, mais en les abordant ensemble.
Notre rôle en Église est double :
– transmettre et témoigner joyeusement de ce qui nous touche et nous libère dans le message de Jésus-Christ ;
– et en même temps, mettre en place, avec sérieux et lucidité, des garde-fous contre toute dérive.
Notre manière de travailler en collectivité, notre système dit presbytéro-synodal, en est un exemple. Nous sommes une foule qui vit par le message de Jésus-Christ, mais qui ne suit pas un gourou, ni un gourou céleste, encore moins des gourous terrestres.
Nous sommes frères et sœurs en route, pour tenter de comprendre ensemble ce que ce message peut nous inspirer pour notre quotidien, et comment il peut être libérateur encore aujourd’hui.
Notre foi est un vrai cadeau, mais elle ressemble à un fruit doux et sucré, plein de vitamines, qui porte en lui-même aussi des graines dangereuses. À nous de faire en sorte de partager le fruit sans modération, tout en faisant attention à son poison possible.
Ernest Renan disait autrefois : « L’Église est une secte qui a réussi. »
On l’a beaucoup critiqué, mais je pense qu’il avait vu quelque chose de vrai.
À nous de faire en sorte, dans le quotidien, de ne pas figurer dans un rapport sur les dérives sectaires,
mais d’être collaborateurs et collaboratrices pour une Église qui accueille joyeusement, afin de découvrir et d’annoncer ensemble la Bonne Nouvelle.
Amen.
Christina Weinhold 07 09 2025