conférence du 30 novembre 2023

Ressources énergétiques et foi

 

Dans le cadre de la Table Ronde « Rencontre et Débat », au sujet de la transition énergétique, voici un   apport théologique

voici un lien vers le document en format PDF :

ressources energétiques et foi _ PDF

 

  • Que puis-je apporter à ce débat d’une approche théologique ?

Les approches philosophique et théologique ont en commun de vouloir comprendre le lien entre à peu près tout ce qui existe. Dans notre contexte du thème de ce soir, ce serait donc de savoir quel lien, quel rapport entre l’être humain et la nature qui l’entoure, ou alors comment définir notre rapport aux ressources énergétiques et aux défis de notre époque de les voir diminuer. Comment se place l’être humain et comment devrait-il se placer si on veut éviter le pire : c’est que l’espèce humaine par son comportement entraîne les contemporains et d’autres espèces avec lui vers le gouffre de la destruction et finalement l’extermination ?

La théologie se distingue de la philosophie dans le fait qu’elle entame toutes ces réflexions dans la confiance qu’il y a un Dieu qui existe, qui a voulu de nous, qui est créateur et qui continue à interagir avec nous. La théologie base sa réflexion principalement sur l’étude des textes bibliques. Je pense qu’il serait utile, pour éviter quelques malentendus, que j’explique brièvement ce que représentent ces ressources bibliques pour nous dans le monde chrétien, protestant, luthéro-réformé :

La Bible n’est pas un seul livre, mais une bibliothèque de divers ouvrages, de différentes époques et d’auteurs. Nous ne croyons pas que la Bible, cette bibliothèque, soit inspirée par Dieu, dans le sens qu’il l’aurait dictée mot à mot. (Cf le Coran, dicté par un ange à un homme qui ne savait ni lire ni écrire).

Ces textes sont écrits par des hommes et des femmes comme vous et moi, mais par des hommes et des femmes qui se sentaient en lien avec Dieu et cherchaient à l’écrire avec leurs mots à eux. C’est donc inspiré par leur foi  qui peut encore nous inspirer au moment de la lecture et dans nos réflexions.

Il y a donc toujours un côté humain et un côté divin dans cette lecture et la réflexion sur ces textes, sans que nous arrivions à définir, ni à prouver où commence l’un et où s’arrête l’autre. Nous devons vivre avec cette tension et elle nous rend humble dans nos propos.

 

 

  • Les textes de la création : 

La bibliothèque de la Bible avec tous ses ouvrages, est organisée de la sorte, qu’on commence par le début de tout, par la création.

On nous présente deux versions de lecture de la création, chapitre 1 et 2 de la Genèse, mais les deux ont en commun de dire : Que nous existons avec tout ce qui nous entoure, parce que Dieu a voulu de cela et qu’il a mis en place un environnement de vie pour cela,  sur un plan matériel et quantitatif, mais également sur un plan qualitatif, pour qu’il y ait de tout pour y vivre bien et dans le bonheur.

Aujourd’hui, comme autrefois les gens ont entendu cela et puis ils ont ouvert les yeux, ont regardé autour d’eux et ont fini par faire des observations troublantes :  La vie sur terre est sans arrêt menacée et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous : conflits et guerres, famines, phénomènes naturels extrêmes, inondations, sécheresse, tremblements de terre, des animaux et des humains qui se battent pour la nourriture dans une longue chaîne de prédateurs et de proies. Pas étonnant qu’on parle d’un  « struggle for life » / d’un combat pour vivre plutôt que du bonheur d’être.

Aujourd’hui comme autrefois on cherche à comprendre d’où vient ce décalage entre comment cela devrait être et comment c’est vraiment. Aussi les auteurs bibliques se penchent sur la question. L’un d’entre eux nous donne sa version et celle-ci se trouve dans le chapitre 3 de la Genèse. Un texte bien connu car il a trouvé un succès fulminant dans l’iconographie à travers le temps, jusqu’à avoir encore sa place aujourd’hui dans les publicités de notre ère. Je parle de ce qu’on appelle parfois la tentation ou alors la chute de l’être humain. L’être humain qui succombe à la tentation du serpent et qui mange ce qu’il ne devrait pas manger, ou pour le dire face au thème de ce soir : se servir d’une ressource énergétique qu’il devrait ne pas toucher.

 

  • Genèse 3 

Je ne vais pas vous faire lecture de l’ensemble du récit, mais juste attirer votre attention sur le début du drame :

Gen 3, 1Le serpent était le plus rusé de tous les animaux sauvages que le Seigneur avait fait. Il demanda à la femme : « Est-ce vrai que Dieu vous a dit : “Vous ne mangerez d’aucun fruit du jardin” ? »

2La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger tous les fruits du jardin. 3Mais pour les fruits de l’arbre qui est au centre du jardin, Dieu nous a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, de peur d’en mourir.” »

Jusqu’ici, nous avons déjà des éléments bien intéressants : Aucun – tout – mais.

Dieu donne de tout, mais conseille de ne pas se servir de tout. Tout, sauf… Et le serpent appuie justement sur ce qui est mis de côté pour dire : aucun fruit alors ?

Une excellente observation, il me semble, par un auteur qui a vécu presque 2500 / 3000 ans avant nous.

Quand l’être humain a de tout, mais qu’on lui demande de préserver une partie, c’est là où toute son attention est attirée et qu’il va plus tard succomber à la tentation et d’en prendre contre toute alerte.

Car ce qui n’est pas pour tout de suite, c’est comme si ce n’était pas. Dans la paire « tout- virgule – sauf » , l’être humain n’entend que le « sauf ». Le tout, mais pas tout, tout de suite, devient un vide, un manque, est donc une privation insupportable. Le serpent aujourd’hui, toujours aussi rusé, le dirait autrement, par exemple en disant: « On veut tout vous interdire. Ceux là-haut, ils veulent tout vous prendre. C’est l’écologie punitive. La sobriété c’est la misère. Ne vous laissez pas faire. »

Mais peut être allez-vous constater qu’il y a effectivement un paradoxe dans la façon de  parler d’un « tout – virgule- sauf ».  Quand on donne de tout, en excluant deux espèces, ben, ce n’est pas tout.

Dire : tout, sauf … c’est un oxymore. C’est-à-dire, on lie deux mots qui sont en apparence contradictoiresTout veut dire tout et en soi c’est impossible d’enlever quoi que ce soit, pour que cela reste tout.

En théologie on appelle cela, non pas un oxymore mais une pensée dialectique. Il y a deux vérités, qui semblent s’exclure, elles sont sous tension, mais qui ont besoin l’une de l’autre. Comme les deux pôles de notre terre, ou dans une ellipse, et dans une batterie. En théologie on trouve la dialectique plutôt stimulante car elle nous présente non pas une vérité tout simple, mais nous laisse avancer entre les pôles, comme en marchant sur deux jambes, une jambe qui se réjouit d’avoir de tout, et l’autre qui prend plaisir de préserver ce qui n’est pas bon pour le moment.

Et la thèse que je vous soumets ce soir c’est de retrouver un fil rouge dans les témoignages bibliques, que nous devons apprendre à vivre avec cette tension :

D’un côté que nous avons de tout , et de l’autre nous avons besoin de nous limiter, de ne pas prendre de tout tout de suite, par peur de mourir, ou alors autrement dit : pour le plaisir de vivre et vivre mieux

 

 

  • Labondance maîtrisée : de lAT au Christianisme 

Et je vais appeler cette devise « l’abondance maîtrisée ».

Exemples qui suivent :

Cela revient sous plusieurs aspects :

  • la manne dans le désert (Exode 16)
  • les 10 commandements pour vivre la liberté totale (Exode 20 / Dtn 5)
  • Cf notamment le shabbat / interrompre de faire

Et cela se prolonge jusqu’au Nouveau Testament avec un événement majeur pour le christianisme : l’arrivée de Jésus de Nazareth. Un humain, né des parents humains et  pourtant choisi pour être envoyé au nom de Dieu, à un point qu’on l’appelle fils de Dieu ou alors fils de l’homme, ou alors le Christ, la personne désignée pour sauver le monde.

Trois évangiles racontent la même chose :

Il y a d’abord une présentation de Jésus comme fils / envoyé de Dieu, au moment de son baptême.

Avec appel de l’entendre et de le suivre. Et cette révélation est suivie d’un autre événement : Jésus se retire dans le désert, y prie et y jeûne. Donc imposition d’un pouvoir d’un côté et suivi d’une privation, dépouillement de l’autre.  Celui à qui on a donné une mission puissante se prive d’abord de la foule, ainsi que de la nourriture.

Mais le désert, c’est dans le langage biblique pas uniquement le lieu de privation mais au contraire c’est le lieu où on retrouve pleinement Dieu, le lieu où Dieu se révèle auprès des humains. En hébreu le mot pour dire désert est presque le même que la parole créatrice de Dieu. Midbar / dabar … En se retirant du monde, Jésus est ici pleinement dans la Parole, dans la présence active de Dieu. En sortant de là, Jésus est confronté comme Adam et Eve au paradis, à une tentation : mange, prends des ressources avec toi, lui propose le tentateur à la marge du désert, retourne au monde rempli de pouvoirs divers et variés :

Je cite Luc 4,

 3Le diable lui dit alors : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de se changer en pain. »  Et Jésus ne le fait pas.

5Le diable l’emmena plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre 6et lui dit : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes : tout cela m’a été remis et je peux le donner à qui je veux. 7Si donc tu te prosternes devant moi, tout sera à toi. »

8Jésus lui répondit : « L’Écriture déclare : “Adore le Seigneur ton Dieu et ne rends de culte qu’à lui seul.” »

9Le diable le conduisit ensuite à Jérusalem, le plaça au sommet du temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; 10car l’Écriture déclare : “Dieu ordonnera à ses anges de te garder.” 11Et encore : “Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte pas de pierre.” »

12Jésus lui répondit : « L’Écriture déclare : “Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.” »

Jésus renonce en trois étapes à toutes sortes de pouvoirs :

  • rendre les ressources matérielles illimitées
  • Avoir le pouvoir politique sur le monde
  • Un pouvoir magique, qui le rend super héros plutôt qu’être humain

Pour le christianisme ce dépouillement, ce geste de renoncer à un pouvoir possible est fondateur.

La devise qui en suit est alors de dire : faites comme Dieu, soyez humain, acceptez les limites et la fragilité.

Ce qui veut dire : Renonçons aux idées de toute puissance et reconnaissons nos limites

Apprenons à vivre en sachant que nous avons reçu de tout, sans pour autant se  servir de tout tout de suite.

 

 

  • Jean Calvin  : être gérants de la création

Au moment de la Réformation au 16 ème siècle il y a eu un réformateur pour qui la réflexion de la place de l’être humain dans la création était bien importante, et c’est Jean Calvin. Connaître Dieu, c’est le connaître comme créateur et celui qui nous donne tout dont nous avons besoin. Mais, il pose  comme question : est-ce pour cela qu’on peut le reconnaître dans la nature ?

Et il dit : Oui et non.

Oui, car dans la nature qui nous entoure, quand nous prenons le temps de nous émerveiller sur sa beauté, sa complexité, son côté mystérieux, où l’on n’arrive pas à tout comprendre , nous voyons bien des signes que derrière tout cela il y a une force plus grande que nous, qui nous dépasse, c’est divin.

Et non, car nous avons du mal à tirer nos conclusions. C’est comme être myope. Tout est sous nos yeux, mais nous ne voyons que flou et sommes incapables de le déchiffrer. On a besoin de lunettes pour y arriver. Ces lunettes, l’outil nécessaire pour mieux comprendre, ce sont d’après Calvin les écritures.

Calvin lit dans les écritures que l’être humain est d’un côté une créature comme toute autre créature, et donc largement en dessous de son créateur, et de l’autre côté c’est la seule créature dont on dit qu’elle est faite à l’image de Dieu. Cela lui donne malgré tout, parmi les créatures, et malgré ses limites du fait d’être humain et imparfait, un autre statut et une mission particulière. Dieu confie à l’être humain une responsabilité.

Institution Chrétienne III, chapitre X a comme titre : La doctrine de l’usage des biens terrestres

L’être humain est invité à être gérant des biens terrestres

Sous la tension de se savoir limité de tout comprendre

Mais tout même mandaté à le faire

Voici 4 règles données par Calvin pour habiter cette responsabilité

  1. À tout moment reconnaître Dieu à l’œuvre et lui rendre grâce (l’émerveillement, contemplation) )
  2. User de ce monde comme n’en usant pas (modestie) / Se passer patiemment de ce qui manque (sobriété volontaire)
  3. Être administrateurs des biens de Dieu : tout nous est donné comme un dépôt dont il faut rendre compte (conscience)
  4. Traduire cette attitude dans tous les actes de la vie (attitude)

 

 

 


  • Conclusion : 

Face au changement climatique il y a deux aspects sur lesquels nous pouvons agir :

  • le côté technologie pour apprendre et inventer  à agir de manière plus éco-responsable
  • le côté humain et l’attitude pour changer notre façon de vivre

Je n’ai rien à dire sur le premier point. Mais sur le deuxième point je pense que les textes bibliques nous permettent un regard dans un miroir pour nous avertir : notre ADN humain est sans cesse d’avoir peur de manquer et du coup de succomber à la tentation et à prendre ce dont nous n’avons pas vraiment besoin. Et je suis d’accord avec Calvin que malgré ce constat Dieu nous ne laisse pas échapper à notre responsabilité, celle d’être gérants de l’abondance que Dieu nous donne.

Les clés de compréhension et d’encouragement sont pour moi :

  • accepter notre responsabilité
  • avouer nos limites / repentance devant nos manquements / apprendre l’humilité
  • Réapprendre à s’émerveiller devant la création pour être suffisamment motivés à agir et à ne pas perdre espoir

 

Christina WEINHOLD  

Église Protestante Unie Levallois – Clichy

30 novembre 2023

 

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