Vous trouverez ci dessous , le rapport qui avait été rédigé en vue du Synode national de l’Eglise protestante unie de 2016 qui s’est prononcé favorablement pour la nouvelle traduction du Notre Père.
Il explique le contexte, les raisons et les motivations de l’acceptation de notre Eglise
A propos du Notre-Père
L’enjeu
Les catholiques romains francophones vont prochainement adopter une nouvelle traduction liturgique du Notre-Père. La première partie de la sixième demande – « Ne nous soumets pas à la tentation » – sera remplacée par : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Cette modification devrait entrer en vigueur, en même temps que la nouvelle traduction du Missel romain, le 1er dimanche de l’Avent de cette année.
Selon le calendrier que le Synode national en Avignon s’était fixé en 2014, il s’agit de déterminer au cours du Synode national 2016 quelles recommandations seront faites pour les paroisses et Eglises locales de l’Eglise Protestante unie de France.
Mais l’Eglise protestante unie n’avance pas de manière isolée. Le travail de réflexion s’inscrit conjointement dans les structures de l’EPUdF et de l’UEPAL, coordonnées au sein de la CPLR.
A) Dossier biblique
1) Quelle traduction ?
Comment comprendre la 6e demande : « ne nous soumets pas à la tentation » (texte liturgique actuellement utilisé) ou « ne nous laisse pas entrer en tentation » (texte nouvellement adopté par les des évêques francophones) ou autrement encore ?
Il convient de partir du fait qu’il est impossible de proposer une traduction littérale de la première partie de la sixième demande du Notre-Père dans la mesure où le verbe grec eisphero, qu’elle contient, ne trouve pas d’équivalent strict en français. Le plus proche serait le verbe « importer », mais on ne saurait demander à Dieu « ne nous importe pas dans la tentation [ou dans l’épreuve] ». Le mot peirasmos lui-même, qui est traduit habituellement par « tentation », signifie sans doute à l’origine « épreuve », dans la mesure où, dans la traduction grecque de la Bible hébraïque, la Septante, il traduit systématiquement le verbe nsh dont le sens premier est « mettre à l’épreuve ».
Sur le fond, la question pourrait ainsi se poser de savoir si le mot « épreuve » ne serait pas plus adapté que « tentation », mais, là aussi, les choses sont très complexes car le mot « épreuve » est spontanément associé aujourd’hui à la maladie et à la mort, ce qui n’est pas vraiment le cas de son homologue biblique qui envisage plutôt une mise à l’épreuve au sens par exemple où Abraham a été éprouvé par Dieu (Gn 22).
Pour nous et nos contemporains, le terme « tentation » est davantage lié aux domaines sexuel et alimentaire, ce qui n’est pas le cas de peirasmos. Or le choix qu’effectuent les traducteurs du verbe traduisant eispherô est déterminé en partie par l’emploi même du mot « tentation » dont on peut se demander légitimement, on l’a vu, s’il est la meilleure traduction de peirasmos. On voit bien ainsi la complexité du débat.
Pour en revenir à ce verbe eispherô, on a tenté de le rendre en français par « induire », « conduire », « soumettre », « faire entrer », « laisser entrer »…, d’où « ne nous induis pas en tentation », « ne nous conduis pas dans la tentation », « ne nous soumets pas à la tentation », « ne nous fais pas entrer en tentation », voire « fais que nous n’entrions pas dans l’épreuve », « ne nous laisse pas entrer en tentation »…
Certaines de ces traductions ne sont elles-mêmes pas dépourvues d’ambigüité, comme celle de la liturgie verte de l’ERF (« ne nous conduis pas dans la tentation ») qui pouvait être comprise au sens où il serait demandé à Dieu d’abandonner le croyant une fois celui-ci plongé dans ou confronté à la tentation.
En toute hypothèse, la formule du Notre-Père trouve sans doute son meilleur parallèle dans un écrit retrouvé à Qumrân, un recueil de psaumes apocryphes, les Psaumes pseudo-davidiques (11QPsa) 24,10 où l’orant demande à Dieu : « Ne me fais pas entrer [ou ne m’induis pas] dans des (épreuves) trop dur(e)s pour moi !) ». Dans ce texte, où ne figure pas explicitement le mot épreuve, c’est le verbe hébreu bw’ qui est employé. Il laisse entendre qu’il est bien question, comme le suggère d’ailleurs le sens même de eispherô, que ce qui est en jeu, c’est bien l’entrée dans la tentation ou dans l’épreuve.
On constatera donc que toutes les traductions mentionnées plus haut respectent à leur manière l’initiative divine que suppose le texte et qui peut heurter la sensibilité contemporaine pour laquelle l’être humain est responsable de ses actes et ne saurait être purement et simplement le jouet de la volonté divine.
Dans cette mesure, la nouvelle traduction liturgique retenue par l’épiscopat français peut s’avérer comme une sorte d’ouverture laissant apparaître que la volonté humaine peut n’être pas totalement étrangère à l’entrée dans la tentation. Elle peut laisser entendre que Dieu n’est pas forcément à l’origine de la tentation, comme le suggérait la traduction précédente, elle-même marquée par un schéma vertical dans lequel Dieu soumet le croyant à la tentation, mais qu’il peut aussi garder le croyant de la tentation en l’empêchant de la connaître, et ainsi le préserver dans le champ horizontal.
En prenant en compte l’ensemble du Notre Père, on pourra observer que d’autres demandes présentent des enjeux de traduction et qu’il est bien difficile de trancher en toute certitude à leur sujet. Il n’est que de penser à la quatrième demande (« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »), et à la deuxième partie de la sixième (« délivre nous du mal »).
Pour ce qui est de la quatrième demande, le terme grec epiousios pose un problème de traduction considérable dans la mesure où c’est là sa première apparition répertoriée à ce jour dans la littérature qui nous est parvenue en langue grecque. On peut faire valoir de bons arguments en faveur de la traduction habituellement retenue (« donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour [ou quotidien] »), mais il y a d’excellentes raisons aussi de privilégier une traduction qui fasse valoir, dans une perspective qui conjugue présent et eschatologie, que ce qui est demandé ici est le pain de demain.
Pour ce qui est de la deuxième partie de la sixième demande, qui est propre à Matthieu, ce qui est demandé à Dieu est la délivrance « du mal » ou du « du Malin » et ici la grammaire est ainsi faite qu’il est impossible de trancher car le génitif tou ponerou que commande la préposition apo peut être interprété comme un masculin (au sens du Malin, ce que faisait la liturgie verte de l ’ERF) ou comme un neutre (ce que fait la traduction liturgique en valeur actuellement).
Plus fondamentalement encore, il faut se souvenir que toute traduction est toujours aussi une forme de trahison et que les traducteurs sont toujours à nouveau confrontés à un dilemme : choisir entre une traduction sourcière, la plus proche possible du texte biblique original – ici des textes bibliques originaux [ceux de Matthieu ou de Luc, eux-mêmes sensiblement différents l’un de l’autre, nous l’avons rappelé ] –, et une traduction cibliste, qui cherche au contraire à s’adresser à un public contemporain en traduisant de manière non littérale ce que le texte est censé vouloir dire. Il n’est qu’à observer la différence entre la traduction de la TOB, qui s ’est autorisée des audaces « ciblistes », pour les versions matthéenne et lucanienne, et la traduction liturgique, qui est bien plus sourcière, pour mesurer l’ampleur des écarts entre diverses traductions (cf annexe 1 le document de travail).
2) Le texte liturgique du Notre-Père
En prenant davantage de recul encore, on peut observer que la traduction liturgique s ’effectue elle -même à partir d’un texte qui est une forme de compromis entre les deux versions du Notre-Père que nous livrent respectivement Mt 6,9-13 et Lc 11,2-4. Dans l’ensemble, c’est Matthieu qui est suivi, sauf pour la cinquième demande, pour laquelle c’est le pardon des offenses qui a été retenu alors même que c’est de pardon des « péchés » qu’il est question chez Luc et de remise des « dettes », sans doute sur l’arrière-plan des dispositions prévues dans le cadre de l’année du jubilé, qu’il est fait état chez Matthieu.
Et que dire de la doxologie du Notre-Père, à laquelle nous sommes si attachés en tant que protestants et qui ne se trouve ni chez Matthieu ni chez Luc, mais qui relève d’une addition présente dès la Didachè (Didachè 8,2), soit dès la fin du premier siècle. Cette addition montre d’ailleurs, comme les importantes différences entre Matthieu et Luc, que la prière n’était pas encore fixée et pouvait connaître des développements ou des variations selon les lieux.
En conclusion de ce dossier biblique il faut retenir que dans tous ces cas, on est confronté à des problèmes de traduction qu’il est impossible de trancher en toute certitude ou qui sont, en dernière analyse, indécidables.
B) Petit rappel historique
Depuis 1966, suite à de travaux liturgiques importants, est instaurée une même traduction de la prière du Notre Père pour les chrétiens protestants, catholiques et lors des célébrations œcuméniques incluant les orthodoxes.
En 2009, les évêques catholiques francophones décident, pour des raisons pastorales, le principe d’une reprise de la formulation de la 6e demande du Notre Père ; ils engagent une concertation au sein du Conseil d’Eglises chrétiennes en France (CECEF). Fin 2010, une réponse – positive – de la Fédération protestante de France est donnée, sans que l’instance qui s’est prononcée puisse être clairement identifiée et en tous cas sans consultation préalable de ses Eglises membres.
En 2013, est publiée la nouvelle traduction du lectionnaire liturgique pour les catholiques francophones. Elle comporte beaucoup de changements en vue d’une meilleure compréhension des textes bibliques lus tout au long de l’année. Un de ces changements concerne le texte de Mt 6,13. La modification aura des répercussions sur la récitation liturgique du « Notre Père ». Cette nouvelle traduction sera intégrée dans une édition révisée du missel romain qui entrera vraisemblablement en usage à partir du 1er dimanche de l’Avent 2016.
Puisqu’il n’est pas du ressort de la FPF de prendre des décisions concernant les Eglises -membres en matière liturgique, le Synode national en Avignon (2014) est saisi de la question et décide de mettre en route un chantier d’étude pour permettre au Synode national 2016 de se prononcer : maintenir le texte actuellement en cours dans l’EPUdF, ou adopter la traduction retenue par les évêques francophones, ou adopter une autre version.
En 2015, le n° 1 du périodique Ressources propose un dossier important sur la question (approches pastorales et historiques, enjeux théologiques, œcuméniques, liturgiques…).
Toujours en 2015, interrogées, les Eglises protestantes francophones en Europe indiquent leurs positions :
a) L’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB) décide que la question d’un changement ou non de la récitation du Notre-Père n’est pas (et ne sera pas) inscrite à son agenda.
b) La Conférence des Eglises protestantes romandes (Suisse) fait le choix de ne pas lancer de consultations en vue d’une décision formelle mais d’observer les usages et d’intégrer un changement de fait lors d’une prochaine édition du livre de cantiques « Alléluia ».
Ces deux Eglises manifestent leur intérêt pour la démarche entreprise par l’EPUdF.
En 2015, le CECEF décide, à titre conservatoire, de maintenir, pour les célébrations œcuméniques , la récitation du Notre-Père dans sa formulation actuelle.
C) Réflexions
En 1965, la Conférence des évêques de France avait adopté une nouvelle traduction du Notre – Père, commune avec les réformés et les orthodoxes, dans un souci d’unité. Cette traduction se rapprochait beaucoup de celle qui était en usage alors dans l’ERF et qui proposait elle-même pour la sixième demande « Ne nous conduis pas dans la tentation ». L’usage d’une traduction commune du Notre-Père a donc marqué une étape importante dans le dialogue œcuménique. Renoncer à un texte identique marquerait un recul important sur ce point, recul que seraient amenés à constater les fidèles, appelés notamment à se rencontrer lors des actes pastoraux, dès lors qu’ils ne réciteraient plus le même texte.
Par ailleurs, dans la procédure actuelle de révision de la traduction liturgique, une révision finalement légère compte tenu de tous les enjeux de traduction, dont certains ont été rappelés, on ne peut en aucun cas reprocher à l’épiscopat de ne pas avoir consulté en amont, les Églises sœurs, la FPF incluse. Une consultation sur le fond aurait été possible en 2009, mais elle n’a pas eu lieu.
Le retour fait à l’épiscopat a été alors un assentiment, dans les conditions rappelées plus haut. Il pourrait être malheureux et mal compris de la part de l’épiscopat français – et aussi de la grande majorité des croyants – que l’EPUdF se démarque aujourd’hui d’un accord donné, même si les conditions dans lesquels il a été donné n’étaient pas satisfaisantes.
Pasteure Agnès von KIRCHBACH
Professeur Christian GRAPPE
(Faculté de théologie protestante de Strasbourg)
Traduction liturgique 2016 | Traduction liturgique 1965 | Liturgie verte ERF | TOB (Matthieu 6,9-13) |
Notre Père |
Notre Père qui es aux cieux, Que ton nom soit sanctifié, Que ton règne vienne, Qua ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé. Et ne nous soumets pas à la tentation, Mais délivre-nous du mal Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles. Amen |
Notre Père qui es aux cieux, ton nom soit sanctifié, ton règne vienne, ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Pardonne-nous nos offenses comme aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. Et ne nous conduis pas dans la tentation, Mais délivre-nous du Malin. Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles. Amen |
Notre Père qui es aux cieux, fais connaître à tous qui tu es, fais venir ton Règne, fais se réaliser ta volonté sur la terre à l’image du ciel. Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin, pardonne-nous nos torts envers toi, comme nous-mêmes nous avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous, et ne nous conduis pas dans la tentation, mais délivre-nous du Tentateur. |