La justice nécessite de la pérséverance

prédication sur Exode 17.8-13 et Luc 18.1-8 par Christina Weinhold

Lectures

Exode 17.8-13

A Rephidim, Amalec vint faire la guerre à Israël. 9 Alors Moïse dit à Josué : Choisis-nous des hommes, sors et combats Amalec ; demain je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. 10 Josué fit ce que Moïse lui avait dit pour combattre Amalec. Moïse, Aaron et Hour montèrent au sommet de la colline. 11 Lorsque Moïse élevait sa main, Israël était le plus fort ; lorsqu’il reposait sa main, Amalec était le plus fort. 12 Comme les mains de Moïse se faisaient lourdes, ils prirent une pierre qu’ils placèrent sous lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour soutenaient ses mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre ; ainsi ses mains restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. 13 Josué vainquit Amalec et son peuple au fil de l’épée.

 

 

Luc 18.1-8

1 Il leur disait une parabole, pour montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser. 2 Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n’avait d’égard pour personne. 3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : « Rends-moi justice contre mon adversaire ! » 4 Pendant longtemps il ne voulut pas. Mais ensuite il se dit : « Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n’aie d’égard pour personne, 5 néanmoins, parce que cette veuve m’importune, je vais lui rendre justice, de peur que jusqu’à la fin elle ne vienne me casser la tête. » 6 Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge injuste. 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ceux qu’il a choisis, alors qu’ils crient vers lui jour et nuit ? Il les ferait attendre ? 8 Je vous le dis, il leur fera justice bien vite.  Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

 

 

 

PREDICATION

Chers amis,

Nous venons d’entendre deux récits de la Bible qui ont un point commun : la persévérance.

– Moïse souhaite qu’Israël gagne le combat, et pour cela il prie sur la colline. Mais ses mains deviennent lourdes, et il a besoin d’aide. On lui tient les bras jusqu’à ce que la victoire soit enfin remportée.

– Et puis, il y a cette veuve « casse-pieds »… Nous avons moins de détails, mais visiblement, elle revient encore et encore, faisant entendre haut et fort sa demande de justice, jusqu’à ce que le juge — craignant même pour sa santé ! — finisse par lui accorder ce qu’elle réclamait.

Deux belles histoires de persévérance, donc, mais aussi avec quelques aspects qui peuvent nous irriter ou nous faire douter du sérieux de ces exemples :
– L’attitude de Moïse ne serait-elle pas un peu magique ? Le destin se laisserait-il vraiment influencer par la hauteur des bras ? Cette histoire ne ressemble-t-elle pas davantage à un conte de fées qu’à notre réalité ?

-Et puis, la veuve : bien sûr, nous sommes solidaires d’elle dans ce récit. Mais, dans la vie de tous les jours… voudrions-nous vraiment l’avoir comme amie ? Celle qui rouspète tout le temps ?
Oserions-nous raconter cette histoire à nos enfants, au risque qu’ils nous demandent encore plus de temps sur l’ordinateur, ou plus de sorties le samedi soir, parce que « c’est injuste ! » ? — « Tout le monde a le droit de jouer plus, de se coucher plus tard et de sortir plus longtemps ! » … Nous connaissons bien cela.

Mais je crois que nos textes bibliques ne cherchent pas à nous faire croire à la magie, ni à glorifier les plus forts des casse-pieds, mais à nous rappeler l’importance de la justice et le soutien infaillible de Dieu dans ce combat.

 

Car il connaît la situation des fragilisés, des marginalisés, des précarisés…
Et la veuve, elle, connaissait probablement ses droits aux yeux de Dieu.
Si elle pouvait parler et rendre témoignage, elle dirait peut-être ceci :

  • Témoignage de la veuve :

« Je suis veuve. Je ne savais pas à quel point il était difficile de perdre son mari et de se retrouver complètement seule. Depuis mon mariage, j’appartenais entièrement à mon mari. C’est seulement grâce à mon lien avec lui que j’avais protection et sécurité. Quand il est mort, j’ai tout perdu et je suis devenue un poids gênant.
Une veuve qui n’a pas de fils devient, selon la loi, la propriété de son beau-frère ou est renvoyée chez son père. Dans les deux cas, cela signifie être sans domicile. Et personne ne prend soin de moi : cela veut dire n’avoir ni aide ni intercesseur. Les veuves sont des personnes sans droit à la vie, pauvres et dépendantes de l’aumône.

Et pourtant, dans la loi de Moïse, il est écrit :
Dieu rend justice aux veuves et aux orphelins. Il aime les étrangers, il leur donne à manger et à se vêtir. (Deutéronome 10,18)

On me refuse ce dont j’ai besoin pour vivre. La famille de mon défunt mari m’a même pris le petit lopin de terre que je cultivais pour subvenir à mes besoins. Secrètement, ils me rendent responsable de la mort de mon mari. Je n’ai personne pour m’aider. Au contraire : même mes quelques amies me mettent en garde et me découragent d’entreprendre quoi que ce soit. Elles me disent ce que je sais moi-même trop bien :
« Qui es-tu donc ? Comment oses-tu insister sans cesse pour faire valoir tes droits ? Tu n’es personne. Le juge va te chasser. Tout le monde sait quel genre d’homme il est : il méprise son devoir de juge, il est impitoyable et ne connaît ni la crainte de Dieu ni l’amour des hommes. Que peux-tu faire contre ce juge sans scrupules ? »

Et pourtant, dans la loi de Moïse, il est écrit :
Maudit soit celui qui fait tort à l’étranger, à l’orphelin et à la veuve. (Deutéronome 27,19)

Ces paroles me donnent de l’espoir. Dieu est de mon côté.
Si le juge me rejette, je me battrai quand même, car j’ai la loi — et le nom de Dieu — de mon côté, et je sais qu’il me défendra. Comme il est écrit :
Il n’ignore jamais l’appel à l’aide des orphelins et des veuves lorsqu’ils expriment leurs plaintes. Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues, et son cri à l’aide n’accuse-t-il pas ceux qui ont causé ses larmes ? La prière des humbles et des opprimés traverse les nuages et ne cesse pas avant d’avoir atteint son but ; elle n’abandonne pas avant que le Très-Haut ne l’entende, qu’il ne défende les justes devant le tribunal et ne leur rende justice. (Jésus Sirac 35,18-22a) »

Fin de témoignage de la veuve. Nous avons tenté de lui donner une voix, d’illustrer sa misère, de mieux comprendre son combat.

 

 

Et Dieu sait ô combien ce combat peut être long, semé d’échecs, mais qu’au nom de Dieu, nous sommes invités à ne pas baisser les bras.
Oui, l’expression française vient bien de cet exemple biblique, dans la personne de Moïse.

C’est pourquoi il est bon de rappeler que, dans ces combats qui semblent perdus d’avance, il y a aussi des victoires : des histoires qui finissent bien et qui nous donnent le courage de faire, à notre tour, ce qui nous revient pour que justice soit faite.

Regardons autour de nous et voyons les veuves, les fragiles, les tout-petits et toutes ces personnes qui, autour de nous, ont obtenu gain de cause :
des gens prêts à mener une bataille pour plus de justice,
des gens « casse-pieds » à leur manière, jusqu’à être entendus au nom de la justice,
des gens d’aujourd’hui, inspirés par ce vieux livre qu’est la Bible — toujours d’une étonnante actualité.

 

Prenons l’exemple de Robert Badinter, entré au Panthéon il y a dix jours.

Robert Badinter a vécu ce que signifie être sans droits et sans défense, être persécuté pour ce qu’on est — dans son cas, pour être né dans une famille juive. Il a vu ce que c’est que de survivre en échappant à l’injustice des uns, et de vivre par la grâce et l’aide des autres.
Il dit lui-même que c’est de là qu’est né son intérêt pour la justice. Il a fait des études de droit et il est devenu avocat.

Avec le temps, naît en lui un autre combat, une autre conviction : vouloir rendre justice sans se venger du coupable.
Il réclame ce qui semblait inaudible pour beaucoup à son époque : la dignité humaine, même envers les malfaiteurs. Même envers ceux qui avaient envoyé des membres de sa famille dans les camps de concentration. Même pour les assassins. Même pour les plus cruels et le plus pervers.

« Tu ne tueras pas », dit le commandement biblique.
Alors, comment serait-il possible de tuer au nom de la justice ?

Robert Badinter se bat pour l’abolition de la peine de mort, à contre-courant.
Il finit par être menacé lui-même, à cause du combat qu’il mène.
Et même encore aujourd’hui, sa tombe a été profanée peu avant son entrée au Panthéon : signe qu’il n’est toujours pas compris par tout le monde.

Le combat de Robert Badinter fut très long. Il a essayé de sauver ses clients par la défense, et il a dû accepter des échecs. C’est la persévérance qui lui donnera raison. Comme ministre de la Justice, il est finalement parvenu, contre toute attente, à abolir la peine de mort.

Ne jamais baisser les bras.
Robert Badinter ne l’a pas fait tout seul. Il était soutenu — par son épouse, par des amis et des collaborateurs, par sa conviction, et peut-être aussi par sa foi.

Comme d’autres, il a tracé son chemin dans un combat pour rendre justice à celles et ceux qu’on voudrait oublier ou mettre à l’écart.

 

 

D’autres exemples sont possibles :

> La Cimade se bat pour avoir une place dans les prisons et les centres pour demandeurs d’asile. Son seul but : informer les concernés de leurs droits et les défendre en cas de besoin. Mais l’association se voit de plus en plus exclue de ces lieux. Leur présence dérange ceux qui se contentent de solutions simplistes.

> L’ACAT aussi : Alexia Houel est venue nous parler de cette association il y a un an, rappelant l’importance d’informer sans cesse sur les droits humains dans notre société et ailleurs dans le monde. L’importance de donner une voix et une visibilité à celles et ceux qui souffrent de tortures et d’injustices, loin de notre attention.

Vous pensez peut-être vous-mêmes à d’autres exemples de personnes ou d’organismes qui se battent encore et encore pour que justice soit rendue.

Et nous ? Parfois, on se demande : que puis-je faire à mon échelle ?

Jésus donne lui-même une introduction, une clé de compréhension à la parabole de la veuve face au juge. Luc écrit : « Il leur disait une parabole pour montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser. »

 

 

La prière comme action militante et signe de persévérance : c’est cela le sujet de Luc.

Prier, ce n’est pas fuir la responsabilité, mais la porter constamment.
Prier, c’est se soucier d’autrui, même de la personne très loin.
Prier, c’est tenir les bras de Dieu dans le combat pour la justice dans le monde.
Prier, c’est tenir, par Dieu, les bras de quelqu’un d’autre en train de se battre pour la justice, sa santé, ses problèmes personnels…
Prier, ce n’est pas perdre de vue les défis de ce monde : c’est vouloir les affronter.
Prier, c’est fatigant… car le résultat n’est pas immédiat, ne se laisse pas mesurer, n’est jamais garanti.
Prier, c’est persévérer contre toute raison, contre nos doutes, sans garantie de résultat.
Prier peut inspirer des actions qui suivront, et les accompagner.
Prier peut ouvrir d’autres pistes.
Prier, c’est sentir qu’on n’est pas seul, mais solidaire dans notre combat.
Prier… c’est aussi sentir, un jour, que quelqu’un d’autre nous tient les bras, pour y arriver.

Amen.

 

 

@credit ACAT

 

 

 

 

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